Marie-Pier

Marie-Pier Leduc - Mon parcours avec le cancer

Montréal QC
Canada

Si quelqu’un m’avait dit qu’un jour j’allais être reconnaissante pour l’épreuve que j’ai vécue, je ne l’aurais jamais cru.

Mon parcours avec le cancer

Par où commencer ? Pour être honnête, je repoussais le moment où j’allais écrire mon « récit » des 7 mois de ma vie où j’ai dû me battre contre le cancer. Je crois que c’est par angoisse de revivre les moments difficiles au travers desquels j’ai passés. En même temps, j’ai envie de mettre sur papier (ou du moins sur un écran d’ordinateur) les émotions, les douleurs, les rires, les pleurs, les peurs (beaucoup beaucoup de peurs), et ce qui en reste maintenant. Je le fais pour moi, pour me rappeler dans le futur si jamais j’ai besoin d’un reminder de ma force intérieure, mais aussi pour tous ceux qui veulent en savoir un peu plus sur ce qui s’est passé dans le quotidien et dans la tête d’une fille cancéreuse de 22 ans. Alors bref, si tu veux en savoir plus, va te chercher un snack, sit back, c’est parti.  

Tout a commencé vers début décembre 2018. J’avais de la difficulté à respirer et je sentais une pression au niveau de la poitrine. C’était en plein pendant ma session d’examens à l’université. Je me suis donc dit que c’était sûrement relié au stress. Mais, même après mes examens, la douleur était la même. Je me rappellerai toujours ce moment où j’étais assise dans le salon avec ma belle-mère et je lui décrivais la douleur. J’ai dit : « Imagine j’ai le cancer ». C’est sorti toute seul, comme si au fond de moi, je le savais que c’était ça. Bref, le 27 décembre, j’ai décidé d’aller à l’hôpital, car la douleur était trop forte. Je suis arrivée là sans vraiment d’attente, pensant que ce n’était qu’une douleur passagère. On m’a fait passer une panoplie de tests sans me donner trop d’information. 2h plus tard, ma mère est arrivée (un peu beaucoup inquiète), car on m’avait installé dans une salle d’observation. J’étais donc branchée de partout et j’entendais une machine qui faisait bip bip à une vitesse tout sauf rassurante. Le médecin est arrivé, calmement, pour me donner les résultats. J’avais clairement le syndrome du sarrau blanc ; Chaque fois que le médecin entrait, la machine se remettait à faire des sons trop forts à intervalles réguliers pour indiquer mon cœur qui battait vite. Le verdict : ils ont repéré une masse d’environ 6 cm de diamètre au niveau de ma poitrine. Je ne me souviens de rien ou presque de ce moment. Je pense que mon cerveau l’a volontairement effacé de ma mémoire. C’était comme dans un film, vraiment. Bref, j’ai passé la nuit à l’hôpital, car ils devaient me garder en observation. J’avais l’impression de vivre un rêve, un cauchemar plutôt. Le lendemain, on m’a transféré à un autre hôpital pour effectuer les biopsies. Pendant ce temps, mon père était à l’autre bout en France et tout ce que j’aurais souhaité c’est qu’il soit avec moi pour me faire rire avec ses blagues (que normalement je ne trouve pas si drôles. Mais à ce moment, je les aurais pris volontiers). À ma grande surprise, j’étais très calme et sereine tout de même. Je pense que je ne réalisais pas l’ampleur de la chose. Encore aujourd’hui, j’ai l’impression de ne pas totalement comprendre ce qui m’est arrivé.  

En l’espace de 9 jours, on m’a fait 3 biopsies. La première, j’ai une aiguille longue d’environ 15 cm plantée dans la poitrine. La deuxième (parce que la première n’était pas concluante...), c’est une chirurgie. Heureusement, celle-là a fonctionnée. La troisième, c’est une biopsie de la moelle. C’est des nouveautés après nouveautés que je vivais. Et malgré que j’avais l’aide précieuse de ma famille, c’est tout de même moi qui le vivais tout ça. J’ai pu finalement retourner à la maison, 15 livres en moins. Parce qu'on ne se le cachera pas, la bouffe de malades, que ce soit du plus vieil hôpital ou de la nouvelle toute fraîche du Centre-Ville de Montréal, ce n’est pas mangeable. Par contre, j’aimerais donner une mention spéciale aux chambres du nouveau CHUM qui donnent sur la grande roue et où on peut observer les feux d’artifice le samedi soir. C’est un petit baume sur le cœur.  

Quelques jours plus tard, le médecin a appelé mon père et la nouvelle est tombée. J’étais atteinte du cancer. Bon, à ce point, ce n’était plus une grande surprise, mais l’entendre, c’était autre chose. J’avais rendez-vous avec mon médecin une semaine après pour qu’il m’explique comment ça se passera. En attendant le rendez-vous, je n’avais plus qu’à attendre. Parce que pour être honnête, 90% de ma situation, c'était attendre : attendre mon prochain rendez-vous avec le médecin, attendre mon traitement de chimiothérapie, attendre que le temps passe… En bref, j’avais le lymphome d’hodgkin, qui est un cancer des ganglions. Chance de guérison : 95%. C’est un cancer qui touche principalement les jeunes. Pour les traitements de chimiothérapie, c’était un à chaque 2 semaines pendant 6 mois. Entre chaque traitement, je devais aussi m’injecter de la Gastrofil qui est un médicament pour augmenter les globules blancs. Parce que le cancer tue les cellules cancéreuses, et les cellules en santé aussi. Et pour l’école, je devais annuler ma session. En résumé, je devais faire pause sur toute ma vie pendant 7 mois et me concentrer mentalement et physiquement à battre ce foutu cancer.  

J’ai dû attendre encore 1 semaine avant d’avoir mon premier traitement. Je pense avoir été aveuglée pendant cette attente ; malgré les dires de mon médecin, je n’avais pas l’intention d’arrêter l’école, j’allais essayer tous les remèdes de grands-mères possibles pour ne pas perdre mes cheveux, j’allais continuer à faire du sport aussi fréquemment qu’avant. Mais la réalité m’a vite rattrapée. Quelques jours avant mon premier traitement, j’avais une bosse au niveau des ganglions dans la bouche et j’avais de la difficulté à respirer. Solution ? Aux urgences. J’y ai passé encore 3 jours, le temps qu’ils effectuent d’autres tests et scan. Tout était beau pour commencer le premier traitement, et c’est ce qu’on a fait. Il durait environ 3 heures, le temps que 3 liquides différents passent dans mes veines. Un rouge (dans le langage des cancéreuses : le red devil), un petit qui passait inaperçu en 10 minutes et un interminable qui devait durer minimalement 1h et qui te brûlait les veines. Après le traitement, je retournais chez moi et j’attendais patiemment le prochain, deux semaines plus tard. Heureusement, dès le premier traitement, je respirais normalement à nouveau, je n’avais plus de sueurs froides la nuit ni de fièvre. À quel point le jus qu’ils te mettent dans les veines est puissant…  

Jusqu’au 4ème traitement où je devais passer un scan pour connaitre l’activité du cancer dans mon corps, j’essayais de rester positive autant que possible. Mais laisse-moi te dire que ce n’était pas facile. Heureusement, papa était revenu plus tôt que prévu de France et il avait décidé de prendre congé du travail le temps de mes traitements. Anabelle, ma belle-mère, aussi restait à la maison, car elle s’était cassée le poignet (malheureusement, ou heureusement ?). On s’est donc trouvé des passe-temps comme on pouvait. On est devenus pro des jeux de société ! Je me surprenais d’avoir de l’énergie la plupart du temps. Par contre, faire du sport, c’était une autre paire de manches. Je me souviens un soir être allée marcher avec mon père dehors. Non, en fait, il m’avait pris de force et m’avait trainé dehors, parce que c’est facile de rester cloitré à l’intérieur à rien faire (vivement les 8 mois d’hiver par année au Québec). On a fait le tour du carré de maisons et je manquais de souffle. Ça m’a fait mal au cœur. Passer de s’entrainer plusieurs fois par semaine à ne même plus être capable de marcher 15 minutes dehors. C’est dur sur le moral. Après le scan passé, j’ai rencontré mon médecin et il m’a annoncé une nouvelle rassurante : le cancer n’était plus actif dans mon corps. Il était donc très optimiste de mon rétablissement. Le seul bémol est que je devais tout de même continuer jusqu’au 12ème traitement.  

En gros, chaque traitement se passait à l’hôpital. C’était à 11h le matin, jusqu’à environ 2h30-3h. J’étais installée dans une salle commune avec d’autres cancéreux aussi. Une infirmière, différente pour chaque traitement, me piquait pour me donner ma chimiothérapie qui est intraveineuse. Vers la fin de mes 12 traitements, c’était comme une chasse au trésor pour trouver la veine qui allait bien accepter de prendre encore du gros jus poison. Il y avait aussi toujours quelqu’un qui m’accompagnait. À chaque traitement, mon père m’obligeait à prendre une photo pour les garder en « souvenir ». Drôle de souvenir... À 3h pm, je sortais de l’hôpital et je n’avais qu’une envie : dormir. Je ne mangeais pas tellement pour les jours suivants, mis à part des bols de smoothie. Entre chaque traitement, je tenais à faire du vélo stationnaire et manger santé le plus souvent afin que mon rétablissement soit optimal et que je reprenne des forces rapidement après la fin de mes traitements. Mais on va se le dire, c’était dur. Parce qu’on dirait qu’un train te passait dessus à chaque 2 semaines. J’essayais aussi de socialiser de temps à autres, mais c’était difficile. Je ne me sentais plus moi-même. Je n’avais plus de cheveux, de sourcils, de cils. Bref, je n’avais plus de poils sur le corps (ça a ses avantages aussi...) Ma peau était pâle et sèche comme le désert. La dernière chose que je voulais c’était qu’on me voit dans cet état. En fait, j’avais peur du jugement. J’avais peur que les gens me jugent d’avoir le cancer et d’être différente physiquement. Dit tout haut, ça semble tellement stupide. Ce que je détestais le plus, c’était que les gens me prennent en pitié. J’avais l’impression que je n’étais plus la même personne avec mon foulard et qu’on ne me regardait plus de la même manière. J’avais un sticker affiché sur mon front qui disait : j’ai le cancer. Quand je me promenais dans la rue, on me regardait. Je voyais bien que les gens se posaient des questions ou avaient un regard de tristesse.  

Et le mental lui ? Pas de tout repos non plus. On a eu nos hauts et nos bas (le genre que tu restes dans ton lit toute la journée et que lever ton petit doigt te prend littéralement toute tes forces). La clé je crois, c’est de sortir de chez soi le plus souvent possible et de faire des activités que tu ferais dans ton quotidien « normal ». Parce que pendant 7 mois, tout ce qui occupe ta tête et tes journées c’est le cancer. Et si tu veux une paix d’esprit, il faut t’accorder du temps et être doux avec toi-même. Pour ma part, je m’ennuyais beaucoup de l’école et d’étudier. J’ai donc pris deux cours d’été dès le 1er mai jusqu’à la fin juin. Il me restait encore 2 traitements à faire à ce moment-là. Ça m’a vraiment aidé, car j’avais l’impression de recommencer ma vie « normale ». Une autre chose qui m’a grandement aidée à voir plus clair c’est de consulter un ou une psychologue. Je ne savais pas à quel point j’en avais besoin jusqu’à ce que j’en vois une pour la première fois. Pas seulement à propos du cancer, mais pour ma vie en général également. Il faut prendre soin de sa tête autant que nous prenons soin de notre corps. Je pense vraiment que d’avoir des petits projets à court terme qui t’occupent et qui te donnent envie de te lever le matin font toute la différence. Ma famille et moi avions décidé d’aller faire un roadtrip dans l’Ouest Canadien pour célébrer la fin de mes traitements en juillet 2019. Je comptais les dodos chaque jour comme un petit enfant qui attendait Noël.  

Quand je regarde les 7 mois où j’ai eu à me battre contre le cancer, j’ai l’impression qu’ils ont passé à la vitesse de la lumière, mais aussi qu’ils ont passé si lentement. Depuis décembre 2018, ma vie tourne autour de la maladie et du cancer. Lorsque je repense à tout ce que j’ai vécu, j’ai un sentiment de fierté et aussi un haut le cœur. Jamais je n’aurais pensé qu’à 22 ans j’aurais à vivre une aussi grosse épreuve. Mais quand je regarde tout ce que j’ai appris sur moi, je ne regrette rien. Je dois admettre que j’aime beaucoup mes petits cheveux courts aujourd’hui, à ma plus grande surprise. Aussi bizarre que cela puisse paraitre, je suis reconnaissante de tout ça. J’ai un regard différent sur toutes les facettes de ma vie.  J’ai conscience plus que jamais à quel point elle ne tient qu’à un fil. Aujourd’hui, j’ai compris que la bataille contre le cancer représente une force intérieure que je porterai avec moi pour toujours. J’aurai des tests, des scans à passer pour le restant de ma vie. Ce n’est pas un chapitre que je peux tourner et oublier à jamais. Mais il sera de plus en plus minime dans mon quotidien. En effet, 18 septembre 2019, mon médecin m’a annoncé que mes résultats de scan étaient positifs : j’avais vaincu le cancer. C’est fou comment la vie peut changer du jour au lendemain.  

Si quelqu’un m’avait dit qu’un jour j’allais être reconnaissante pour l’épreuve que j’ai vécue, je ne l’aurais jamais cru. Bien que je ne souhaite ce sort à personne, l’expérience, aussi négative et difficile qu’elle le fut, m’a amené beaucoup de positifs et de moments heureux.  

Cheers ! 

Marie-Pier